Les rats feront-ils eux aussi une dépression cet hiver ?
10 Décembre 2024
Par 
Tanel Petelot

Cela peut sembler absurde, mais la recherche en santé mentale commence souvent par des rats. Avant de tester un traitement innovant sur des humains, il doit d'abord passer par des phases précliniques rigoureuses, où des modèles animaux sont utilisés pour simuler des troubles comme la dépression et l'anxiété. Oui, on peut provoquer des "dépressions" chez des rats. Pourquoi ? Pour mieux comprendre les mécanismes de ces maladies et évaluer l'efficacité des traitements.

Comment "déprimer" un rat ? 🐀

Les chercheurs ont développé des méthodes standardisées pour induire des comportements semblables à la dépression chez les animaux. Ces modèles sont essentiels pour explorer les causes biologiques de la dépression et tester les nouveaux traitements avant de passer aux essais cliniques humains. Voici quelques méthodes courantes :

1. Stress chronique modéré (CMS)

Dans ce modèle, les rats sont exposés à des stress variés et imprévisibles (par exemple, variations lumineuses, isolement social ou perturbations alimentaires) sur plusieurs semaines. Cette méthode recrée des symptômes similaires à la dépression humaine, comme l'anhedonie (perte de plaisir). La diminution de la consommation d'eau sucrée, qui est normalement très appréciée des rats, est souvent utilisée comme un indicateur de ce symptôme.

2. Dépression induite par la réserpine

La réserpine, un médicament qui diminue les niveaux de monoamines comme la sérotonine et la dopamine, est administrée pour provoquer des comportements dépressifs. Les animaux deviennent léthargiques, moins réactifs et montrent des signes d'apathie. Ce modèle est particulièrement utile pour tester des médicaments qui ciblent les neurotransmetteurs.

3. Modèles génétiques

Certains animaux sont génétiquement modifiés pour présenter une vulnérabilité accrue au stress ou des traits spécifiques liés à la dépression. Par exemple, les souris dépourvues du transporteur de la sérotonine manifestent une anxiété accrue et des comportements dépressifs, reflétant l'importance de cette voie dans les troubles de l’humeur.

4. Modèle de résignation apprise (Learned Helplessness)

Ce modèle imite des sentiments d'impuissance similaires à ceux observés dans la dépression humaine. Les animaux sont soumis à des situations où ils ne peuvent pas échapper à un stress, comme des chocs électriques. Ensuite, même lorsque l’échappatoire devient possible, ils n’essaient plus, un comportement interprété comme un désespoir appris.

Exemples concrets : Cybin et Lykos Therapeutics

Cybin : Des modèles animaux au succès clinique

Cybin, un acteur majeur dans le développement de thérapies psychédéliques, a mis en œuvre des études précliniques approfondies pour ses composés comme le CYB003. Ces études ont utilisé des modèles animaux pour explorer :

  • La pharmacodynamie et la pharmacocinétique : Comparant les effets de CYB003 à ceux des formes naturelles de psilocybine.
  • L'efficacité thérapeutique : Des modèles comme la dépression induite par le stress ou la réserpine ont probablement été utilisés pour observer les comportements d'anhedonie et d'impuissance, des indicateurs précliniques cruciaux.

Les résultats de ces études ont permis à Cybin de démontrer que CYB003 offre une meilleure biodisponibilité et une réduction des effets secondaires par rapport à la psilocybine classique. Cela a été un tremplin pour les essais humains, où les taux de réponse et de rémission dans la dépression majeure sont impressionnants.

Consultez les données de Cybin sur CYB003.

Lykos Therapeutics : MDMA et résilience au stress

Lykos Therapeutics a concentré ses efforts sur les thérapies basées sur la MDMA, notamment pour le traitement du PTSD (trouble de stress post-traumatique). Leurs études précliniques ont utilisé :

  • Modèles de stress post-traumatique chez les animaux : Simulant des expositions traumatiques pour évaluer les effets de la MDMA sur la régulation émotionnelle.
  • Comportements sociaux : Les études ont démontré que la MDMA favorise des comportements prosociaux, ce qui est crucial pour les thérapies axées sur l’empathie et la résilience.

Bien que leurs résultats aient montré une efficacité prometteuse, Lykos a rencontré des obstacles réglementaires, notamment sur les méthodologies d’essais cliniques, où l’effet placebo a été difficile à contrôler.

En savoir plus sur Lykos Therapeutics.

Que mesurons-nous dans ces modèles ?

Même si les animaux ne peuvent pas verbaliser leur souffrance, leur comportement et leurs marqueurs biologiques nous en disent long :

  • Motivation et plaisir : Une baisse de l'intérêt pour les récompenses (comme l’eau sucrée) ou un manque d'exploration dans de nouveaux environnements.
  • Interaction sociale : Une diminution des contacts avec leurs congénères.
  • Physiologie : Des niveaux élevés de cortisol, l'hormone du stress, ou des altérations dans les circuits neuronaux liés à l'émotion et au stress.

Ces indicateurs permettent aux chercheurs de tester l'efficacité de nouveaux traitements avant de passer aux essais cliniques humains.

Et la technologie dans tout ça ?

Les outils traditionnels pour mesurer les symptômes de la dépression dans les essais cliniques humains reposent principalement sur des questionnaires ponctuels. Mais ces outils, bien que standardisés, ont leurs limites.

EMOBOT, une innovation dans la MedTech, propose une mesure continue, passive et multimodale de l’humeur. Grâce à l’intelligence artificielle et à des capteurs diversifiés, EMOBOT permet :

  • Un suivi en temps réel : Capturer les fluctuations quotidiennes de l’humeur, plutôt que de s’appuyer sur des moments isolés.
  • Une réduction des biais : En évitant de dépendre uniquement des auto-évaluations des patients.
  • Des données plus riches et fiables : En intégrant plusieurs signaux (comportementaux, physiologiques, etc.) pour mieux comprendre l’état émotionnel et l’efficacité des traitements.

Cette approche offre un outil révolutionnaire pour les essais cliniques et pourrait transformer la manière dont la psychiatrie mesure et suit les troubles de l’humeur.

Pourquoi en parler ?

Parce que tout traitement commence par des phases méconnues mais cruciales. Des rats stressés dans un laboratoire aux essais cliniques humains en passant par des technologies de pointe comme EMOBOT, chaque étape joue un rôle clé dans le développement de thérapies innovantes pour les troubles de l'humeur.

Alors, la prochaine fois, nous nous demanderons si les rats deviendront maniaques au printemps, mais pour l'instant, profitons de l'hiver. A la semaine prochaine 🙂

Sources

  • Willner, P. (1997). "Validity, reliability and utility of the chronic mild stress model of depression: A 10-year review and evaluation." Psychopharmacology.
  • Cryan, J. F., et al. (2005). "Animal models of depression: The necessity of translational approaches." Neuropsychopharmacology.
  • Cybin Phase 2 Results
  • Lykos and MDMA Therapy

En savoir plus sur l'auteur

Tanel Petelot, CEO et co-fondateur d’EMOBOT, ingénieur formé à UC Berkeley et à l’École Centrale, est passionné par la santé mentale et l'innovation thérapeutique. En 2022, il a cofondé EMOBOT, une startup MedTech qui développe des dispositifs médicaux pour la mesure continue, passive et multimodale de l’humeur, grâce à une analyse avancée des symptômes par intelligence artificielle. La société collabore avec plus de 30 hôpitaux en Europe, où sa solution est utilisée dans des essais cliniques, et se déploie maintenant aux États-Unis.

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